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EXTRAITS
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"Enseigner le drame, c'est apprendre à cerner l'homme, à connaître le sens de la vie." |
(Shohei Imamura [92])
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"Marc écrivait vite, respectait les délais... Tout cela était magnifique à une condition : laisser l'ambition de côté. (...) D'autres produisaient des poêles à frire, des tracteurs ou des planches à voile, la télé produisait de l'image, des histoires en images et il avait sa place dans le processus, une bonne place qu'il garderait toujours à une seule condition : ne pas ruer dans les brancards... ne pas faire l'artiste." |
(Haute-Pierre,
1985)
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De quelques rencontres déterminantes
Cet ouvrage est le fruit de rencontres fort différentes
les unes des autres, sans la somme desquelles il n'aurait jamais vu
le jour. Tout remonte à Frantisek Daniel, qui fut mon professeur
d'écriture de scénario en 1983-1985. A cette date, il
était co-directeur, avec Milos Forman, de l'école de cinéma
de Columbia University, à New York, où j'étudiais
pour acquérir un master en écriture de scénario
et mise en scène. Frantisek était considéré
aux USA, et dans certains pays européens, comme l'un des grands
spécialistes de l'enseignement du scénario. Signalons
qu'il était d'origine tchèque et qu'il avait enseigné
à l'école de cinéma de Prague (la FAMU) avant d'émigrer
aux Etats-Unis.
En 1983, Frantisek Daniel nous recommanda chaudement un ouvrage d'Edward
Mabley intitulé Dramatic construction [112], publié
au début des années 70. A l'époque, ce livre était
épuisé et difficile à trouver. Il l'est un peu
moins aujourd'hui, grâce à internet, mais il n'a jamais
été traduit en France. En 1983, il en existait une copie
dans la bibliothèque de Columbia University, ce qui m'a permis
de le découvrir. C'est un ouvrage remarquable.
Entre autres choses, Edward Mabley y recommande à son tour plusieurs
livres, dont un essai exceptionnellement brillant et malheureusement
inédit en France : Tragedy and comedy [96] de Walter
Kerr. Kerr est également l'auteur de The silent clowns
[95], consacré aux comiques du cinéma muet et lui aussi
remarquable en tout point. Pour finir sur les livres qui m'ont aidé
à comprendre la dramaturgie, il faut citer deux ouvrages justement
réputés : les Entretiens Hitchcock Truffaut [76]
et Psychanalyse des contes de fées [16].
Bruno Bettelheim, Frantisek Daniel, Alfred Hitchcock, Walter Kerr et
Edward Mabley ont donc constitué la base de ma réflexion
sur la dramaturgie . Deux activités majeures m'ont ensuite permis
d'affiner et d'explorer le plus loin possible cette réflexion.
Celle de scénariste professionnel d'abord. Ce qui est assez logique.
Et puis celle de pédagogue, puisque j'ai créé et
animé, à partir de 1987, divers ateliers d'écriture
dramatique. Ce qui a fini par déboucher sur deux activités
: script doctor et animateur de séminaires sur la dramaturgie.
Les deux premiers responsables à m'avoir fait confiance (Françoise
Villaume du Centre National des Ecritures du Spectacle de Villeneuve-lez-Avignon
et Jacqueline Pierreux de la RTBF, à Bruxelles) et les élèves
qui ont traversé mes ateliers ont donc également contribué
à faire naître ce livre.
Enfin, je dois beaucoup à ma femme, Catherine, et à mes
enfants, Baptiste, Aurélien, Valentin et Clémentine, qui
m'ont appris tant de choses sur la vie et, donc, sur la dramaturgie.
Car je crois, comme Imamura [92], que comprendre l'une c'est comprendre
l'autre. A tous, merci.
L'art du récit
Jusqu'à sa cinquième édition, le sous-titre du
livre était "Les mécanismes du récit".
J'ai fini par me rendre compte que cela convenait bien à tous
les artistes (cinéastes, metteurs en scène, musiciens,
écrivains, dessinateurs) qui craignent ou méprisent le
récit. En effet, l'une des maltraitances du récit consiste
à dire que l'art est ce qui reste d'une discipline artistique
quand on en a enlevé l'histoire. Allons donc ! Une autre maltraitance
classique consiste à considérer le récit comme
un prétexte, comme une sorte de tremplin pour exercer son art.
Un tremplin trivial, bien sûr, une sorte d'anecdote sans la moindre
dimension artistique. Une troisième maltraitance consiste à
dire que le récit n'est qu'un artisanat. Un film bien raconté
serait du domaine du savoir-faire alors qu'un film qui transmet la pensée
d'un auteur serait de l'art au sens noble.
On peut sourire de ces divagations. Ou on peut s'offusquer de ce besoin
de hiérarchiser, pente extrêmement glissante. On peut aussi
rappeler une évidence : le récit est un art. C'est même
un art majeur, ancestral et nécessaire au développement
humain (cf. pages 13-15). Raconter des histoires exige des compétences
et de la créativité. Raconter des histoires permet aux
humains de vivre des émotions, de cultiver le beau, de grandir
et de communier. En outre, le récit est l'un des plus puissants
outils qui soient pour préserver et diffuser une culture. Pour
toutes ces raisons, je pense qu'avoir peur du récit ne rend service
à personne.
Refontes
Les premières versions de La dramaturgie, jusqu'en
2008, comprenaient une petite partie méthodologique (essentiellement
les chapitres 16, 17 et 22). Petite en nombre de pages mais précieuse,
à mon avis, pour quiconque veut passer à l'acte. J'ai
mis quinze ans à réaliser que cette partie pratique passait
quasiment inaperçue et que mon livre était parfois considéré
comme un ouvrage théorique. Deux autres chapitres me sont apparus
pareillement noyés : le chapitre 15 intitulé "Analyses
d'uvres" et le chapitre 23 intitulé "Lire une
pièce ou un scénario". Il était temps de donner
à ces aspects importants de mon travail une vitrine plus claire
en même temps qu'un grand coup de polish. Ainsi le corpus majoritairement
théorique s'appelle toujours La dramaturgie. C'est
le livre que vous avez entre les mains. La partie méthodologique
est devenue Construire un récit [105] et le chapitre
23 Evaluer un scénario [106]. Enfin, l'ancien chapitre
15 - dans lequel j'étudiais en détail L'école
des femmes et La mort aux trousses - est appelé
à s'enrichir d'autres analyses et à devenir lui aussi
un ouvrage à part entière (Récits dramatiques
exemplaires [107]).
Premier long métrage en tant que réalisateur
Entre la deuxième édition de ce livre (1997) et la troisième
(2004), il s'est passé un événement important en
ce qui me concerne. J'ai écrit et réalisé mon premier
long métrage : Oui, mais.... Cela n'a pas beaucoup
modifié ma vision du scénario car, contrairement à
ce qu'on a pu croire, je ne suis pas descendu d'une sorte de fauteuil
universitaire pour entrer dans l'arène artistique. J'étais
déjà scénariste, dramaturge, metteur en scène
de théâtre et réalisateur de courts métrages
avant d'écrire La dramaturgie et de faire Oui,
mais.... Sur la passionnante expérience de la fabrication
du film, je me permets de renvoyer le lecteur à l'édition
annotée du scénario. J'y explique, entre autres choses,
comment le passage du texte à l'image et à l'incarnation
par des comédiens a pu m'amener à modifier le scénario
jusqu'au mixage.
Règles et uniformisation
Quand La dramaturgie est sorti en avril
1994, la question de l'existence des règles et de l'enseignement
du scénario se posait encore en France. C'est pourquoi j'avais
inclus dans l'introduction un passage sur les règles et leur
apprentissage. Aujourd'hui, ces idées (sur l'apprentissage des
règles) ne sont quasiment plus discutées. J'ai néanmoins
choisi de laisser le passage en question. Je me suis dit qu'il ne faisait
pas de mal de se mettre les idées au clair, a fortiori pour ceux
qui veulent passer à l'acte en s'aidant de Construire un
récit [111]. Le lecteur convaincu pourra sauter les pages
16 à 23.
Cela dit, le refus des règles du récit a été
remplacé par une autre forme de résistance : aujourd'hui,
on se plaint de l'uniformisation des uvres. Sous-entendu : les
règles existent - admettons - mais elles sont néfastes
car elles conduisent immanquablement à une dangereuse standardisation.
Force est de reconnaître qu'une certaine uniformisation se fait
sentir, surtout en provenance d'Hollywood, mais elle n'est pas liée
à l'attention accrue portée au scénario depuis
vingt-cinq ans. Si uniformisation il y a, elle est plutôt due
au manque d'audace de certains décideurs et au manque d'inventivité
et de personnalité de certains auteurs. En prêtant attention
à l'écriture narrative, on peut obtenir des uvres
aussi différentes que Dans ses yeux, L'esquive,
Festen, Mustang, No man's land,
Où est la maison de mon ami ?, La vie des
autres ou La vie est belle (1997). Peut-on dire
de ces films que ce sont des monuments d'uniformité ?
Note de bas de page : Le mot "règle" dérange.
Il fait peur. Robert McKee [117] et d'autres préfèrent
parler de principes. Les règles seraient faites pour être
obéies quand les principes feraient référence à
ce qui marche. Les règles contraindraient, les principes stimuleraient.
Subtilités lexicographiques probablement destinées à
éviter de braquer l'Enfant Rebelle qui sommeille chez tout artiste.
Je n'ai pas peur du mot "règle", je pense qu'on peut
respecter une règle tout en gardant sa liberté et je préfère
appeler un chat un chat. D'autant que le mot "règle",
comme nous le verrons dans l'introduction (pages 17-18), a plusieurs
sens.
Un spectateur innocent
On m'a beaucoup demandé (avec une pointe d'inquiétude) si on peut continuer à apprécier une pièce, un film ou un album de bande dessinée, à être un spectateur innocent, quand on connaît sur le bout des doigts l'art du récit dramatique. La réponse est oui. Sans discussion. Quand j'ai découvert La vie est belle (version Benigni-Cerami), j'ai ri, j'ai pleuré et, seulement après l'avoir goûté pleinement, j'ai compris qu'il y avait des paiements formidables. Quand je revois la fin des Lumières de la ville pour la quinzième fois, je suis ému. J'ai beau me dire que c'est la résolution d'une ironie dramatique, je pleure. Idem quand je relis Un ciel radieux. A fortiori, bien sûr, quand je l'ai lu pour la première fois. Ce n'est pas la connaissance des règles qui gêne la vision d'une uvre dramatique, c'est l'obligation de la commenter. Car une uvre dramatique est conçue pour être vue avec le cur et les tripes et pas seulement avec le cerveau. Mais ni l'auteur ni le lecteur de ce livre n'est concerné par ce problème. Il est fort probable, en revanche, que la connaissance des mécanismes du récit rende plus exigeant, plus difficile à satisfaire. Quand l'uvre "fonctionne", on la reçoit comme tout le monde. Quand elle ne "fonctionne" pas, on a le temps d'analyser pourquoi et on en voit plus facilement les failles.
Cinéma autoproduit versus cinéma professionnel
En septembre 2011, j'ai eu l'honneur de présider
le jury de "Cur de vidéo", festival annuel de
cinéma organisé par la Fédération Française
de Cinéma et Vidéo. Une petite centaine de films autoproduits,
sélectionnés par les régions fédérales,
ont été projetés. Des fictions, des documentaires,
des clips. J'ai eu ainsi le fort instructif privilège d'observer
les différences entre cinéma autoproduit et cinéma
professionnel. Mais aussi, et surtout, leurs points communs. Car il
m'a semblé que les deux cinémas partagent nombre de défauts
et de qualités. Ainsi, techniquement, le cinéma autoproduit
n'a plus grand-chose à envier au cinéma professionnel.
Cela est sûrement dû au perfectionnement et à l'accessibilité
du matériel. J'y ajouterai une autre explication, peut-être
moins avouable : la technique est ce qu'il y a de plus facile à
maîtriser. Tellement plus facile que, par exemple, la structure
du récit. Ou la cohérence du propos. Résultat,
les cinéastes peaufinent leur cadre, leur lumière, leur
prise de son, le montage, le mixage, l'étalonnage, tout ce qui
est visible pour les yeux et audible pour les oreilles, et ainsi
négligent l'essentiel.
J'ai quand même relevé deux différences notables
entre ces deux cinémas. D'abord, les courtmétragistes
non-professionnels m'ont paru moins prétentieux, dans leur ensemble,
que leurs confrères professionnels. Il est rare que les non-professionnels
soient dans la pose artistique. Je les ai sentis plus humbles et plus
authentiques. En revanche, les non-professionnels sont beaucoup moins
rigoureux sur le montage. L'immense majorité des films autoproduits,
qu'ils soient fictifs ou documentaires, gagneraient à être
copieusement raccourcis. Il est facile de comprendre l'origine du problème.
Les professionnels bénéficient de monteurs aguerris qui
ont du recul et n'hésitent pas à réclamer des coupes.
Alors que les non-professionnels sont souvent leurs propres monteurs
et ont trop d'affection pour ce qu'ils ont tourné, parfois au
prix d'un investissement démesuré, pour avoir le courage
de couper. Comment enlever des images qui sont si belles ou/et qui ont
coûté si cher à obtenir ? Le problème ne
vient pas d'un manque de formation mais d'un manque de recul.
En bref, amis cinéastes non-professionnels, n'ayez strictement
aucun complexe vis-à-vis du cinéma professionnel. Continuez
à être sincères. Lâchez prise sur la technique
pour vous concentrer sur le sens et le facteur humain (cf., par exemple,
page 498). Et engagez un monteur.
Note de bas de page : Les
cinévidéastes qui ne sont pas payés pour faire
du cinéma n'apprécient pas que l'on qualifie leur activité
d'"amateur", à cause des connotations péjoratives
du mot. Le terme "autoproduit" semble faire consensus.
Monsieur Hulot écrit de la série TV
Dans les deux premières éditions de La
dramaturgie (1994 et 1997), il y avait une annexe consacrée
à l'écriture pour la télévision. J'y donnais
assez peu de conseils techniques car les mécanismes du récit
sont fondamentalement les mêmes que pour le théâtre
ou le cinéma. En revanche, je faisais l'éloge ardent de
la série. Et puis j'invitais les auteurs à "faire
l'artiste" et, surtout, les décideurs à laisser les
auteurs faire l'artiste. En bref, je pissais dans un violon.
Il se trouve qu'au même moment, en 1996 très exactement,
sont arrivées sur les petits écrans français deux
bombes nommées Friends et Urgences.
Suivies de peu par une troisième : Ally McBeal.
C'était le début de la grosse claque prise par l'ensemble
des acteurs de la fiction télévisée française,
diffuseurs en tête. Depuis, les scuds pleuvent à raison
d'une demi-douzaine par an : Desperate housewives, Dexter,
Dr House, Les experts, La pire semaine
de ma vie, Les Simpson, Six pieds sous terre,
Skins, Les Soprano, Sur écoute,
24 heures chrono et j'en passe. Il a fallu se rendre
à l'évidence : la fiction française était
ringarde, pépère, dépassée. Un sentiment
de honte a commencé à envahir le paysage audiovisuel français,
le fameux PAF.
Si les séries anglo-saxonnes s'étaient contentées
de nous montrer à quel point la fiction française était
artistiquement médiocre, nous en serions probablement encore
là. L'artistique, on s'en fiche. C'est une préoccupation
de philosophe. Mais quand le porte-monnaie est touché, les consciences
se réveillent, comme par magie. Or, en accédant à
la première partie de soirée, les séries anglo-saxonnes
ont enfoncé le clou et remporté haut la main le match
de l'audimat.
L'ensemble du PAF a compris qu'il fallait réagir. Dans Jour
de fête, le facteur, sorte de Monsieur Hulot rural joué
par Jacques Tati, découvre impressionné les méthodes
de distribution postale utilisées aux Etats-Unis. Il décide
alors de faire sa tournée "à l'amerrrricaine".
Une série de gentilles catastrophes s'ensuit. Comme le facteur
de Jour de fête, le PAF s'est dit qu'il fallait
imiter les Anglo-Saxons. Les décideurs ont commencé à
comprendre enfin ce que nous étions nombreux, scénaristes
français, à marteler depuis vingt ans. Primo, il faut
mettre beaucoup plus de moyens sur le poste le plus important d'un récit
télévisé : le scénario. Secundo, il faut
arrêter avec le snobisme des unitaires et des 90 minutes, la série
est le format idéal de la télévision (en particulier
le 26 et le 52 minutes en série longue). Un grand artiste de
cinéma, Alfred Hitchcock, a été l'un des premiers
à le comprendre quand il s'est mis à produire des séries
télévisées dans les années 50. Après
lui, des cinéastes aussi différents que David Lynch ou
Steven Spielberg suivront le même principe.
Plusieurs types d'imitation ont alors vu le jour. On a copié,
purement et simplement, en adaptant des séries existantes et
en faisant des remakes déclarés. On s'est aussi inspiré
sans vergogne, en tentant un Grey's anatomy à la
française, un Ally McBeal à la française,
un Dexter à la française. Résultat
(tellement prévisible) : un sous-Grey's anatomy,
un sous-Ally McBeal et un sous-Dexter. On
a monté des ateliers d'auteurs pour écrire à plusieurs.
Le CNC a lancé un fonds d'innovation censément destiné
à financer l'écriture de projets sélectionnés
sur leur originalité plus que sur la capacité de leurs
auteurs à les développer. On a décidé de
faire une série avec des trentenaires pour séduire les
moins de 35 ans qui ne regardent pas la télé. C'est ne
rien comprendre aux principes d'identification. Faut-il donc être
chômeur pour apprécier The full monty ou
mort pour vibrer à Dead like me ? Enfin, on a décidé
d'être audacieux et déjanté. Alors que la vraie
rupture, l'audace du siècle, serait tout simplement de raconter
une histoire avec brio - et peu importe le sujet -, on nous a proposé
une femme présidente de la République française,
un nain et un transsexuel dans un épisode de sitcom, une série
policière avec des gros mots et des cadavres sanguinolents en
gros plan, et plein de scènes bien chaudes pour pimenter tout
cela.
Nous sommes entrés dans la première phase de récolte
et il est probablement trop tôt pour faire un bilan. Mais il me
semble que les décideurs du PAF n'ont pas mené le tiers
des réformes. Certains ont (plus ou moins) commencé à
mettre le scénario au centre du dispositif. Mais la plupart ont
oublié l'essentiel : il faut aussi mettre le scénariste
au centre du dispositif. Et, de préférence, un bon scénariste.
Marc Cherry, David Chase, Alan Ball, Matt Groening, David Simon, Mark
Bussell et Justin Sbresni, Marta Kauffman et David Crane ne sont pas
uniquement scénaristes de la série qu'ils ont créée,
ils en sont aussi les producteurs. Ils participent au casting, ils ont
accès à la salle de montage, souvent même ils réalisent
un épisode ou deux. En deux mots, ils sont décideurs de
la série. Et même les principaux décideurs. Ce n'est
pas une question d'ego mais de logique. David Chase, l'auteur des Soprano,
est un exemple parfait de ce système. Chase a écrit et
réalisé le pilote et plusieurs épisodes, il s'est
occupé du casting des comédiens mais aussi du casting
des réalisateurs. Il a supervisé le montage de toute la
série. En bref, on a laissé David Chase faire l'artiste.
Au final, cela a donné à la fois un produit industriel
et une uvre d'art, tout autant distrayante que personnelle, l'une
des uvres les plus puissantes du répertoire dramatique.
On me dira peut-être que Les Soprano est diffusée
sur une chaîne à péage (HBO), moins asservie à
l'audimat que les grandes chaînes généralistes.
Prenons alors l'exemple d'Urgences, diffusée sur
un network généraliste (NBC). Le raisonnement est le même,
il suffit de remplacer le nom de David Chase par celui de Michael Crichton.
Ou prenons l'exemple de Desperate housewives, diffusée
sur ABC, et remplaçons David Chase par Marc Cherry. Ou celui
des Simpson créée par Matt Groening et diffusée
sur Fox.
En bref, non seulement les bonnes séries anglo-saxonnes donnent
le pouvoir au scénariste mais en plus elles engagent des créateurs
qui ont du talent. C'est aussi l'un des secrets majeurs des séries
anglo-saxonnes réussies. Si on garde Monsieur Hulot pour distribuer
le courrier "à l'amerrrricaine", cela donnera toujours
du Hulot, pas du US Postal. Entendons-nous bien, je ne dis pas du tout
qu'il faille engager des scénaristes anglo-saxons pour écrire
les séries françaises. Je pense même que ce serait
une erreur. Il y a en Europe des scénaristes francophones de
talent. J'en connais.
Est-ce que le PAF est sur la bonne voie ? Il est trop tôt pour
le dire. Même si les séries mollassonnes françaises
semblent derrière nous, les séries anglo-saxonnes sont
encore loin devant. Ces dernières années, j'ai personnellement
apprécié Braquo (saison 1), David
Nolande, Kaamelott et les saisons 1 à
4 d'Un village français. J'y ai repéré
plutôt des exceptions qu'une règle. Mais l'honnêteté
m'oblige à dire que je n'ai pas tout vu. Est-ce que nous allons
prendre une deuxième claque bientôt ? Est-ce que les décideurs
du PAF accepteront enfin de laisser la place aux auteurs, de mettre
le scénario et le scénariste au centre du
dispositif ? Et si oui, vont-ils sélectionner les bons auteurs
? Suspense...
Note de bas de page : Pour être complet
sur les causes de la crise de la fiction télévisée
française, il faudrait dire un mot sur les modes de production,
le sous-financement du scénario, le saupoudrage des commandes,
l'absence de recherches et développements, la quantité
effarante d'intermédiaires, l'incompétence des lecteurs,
etc. Mais on peut prendre toutes les mesures qu'on veut, tant qu'on
ne donnera pas le pouvoir central à de bons scénaristes,
la fiction télévisée continuera à prendre
des claques.
on en voit plus facilement les failles.
Hats off to the screenwriters!
En 2015, j'ai créé une série web intitulée Hats off to the screenwriters! (" Chapeau, les scénaristes ! "). Elle est en anglais, sous-titrée en français, et disponible sur YouTube (http://bit.ly/HOTTS). Chaque épisode illustre un élément de narration remarquable. C'est donc un complément imagé à ce livre et à Construire un récit [111]. C'est aussi un hommage à tous les grands raconteurs d'histoire, à ces artistes qui inventent des récits, des personnages, des univers de fiction, des structures et... du sens.
Yves Lavandier (janvier 2017)