Yves Lavandier est né le 2 avril 1959. Après des études d'ingénieur,
il part à Columbia University, New York, pour apprendre le cinéma. Il
y tourne une dizaine de courts métrages. De retour en France en 1985,
il tourne un dernier court métrage et commence à gagner sa vie comme
scénariste, essentiellement pour la télévision. Parallèlement, il se
met à enseigner le scénario un peu partout en Europe et publie un ouvrage
aujourd'hui réputé, La
Dramaturgie. Oui, mais... est son premier
long métrage en tant que réalisateur. Yves Lavandier est marié et père
de quatre enfants.
Pourquoi ce titre Oui, mais...
?
C'est à la fois le nom d'un jeu psychologique célèbre en Analyse Transactionnelle
- c'est le jeu joué par les
jardiniers dans le film - et l'attitude générale d'Eglantine. Oui,
j'ai envie de sortir du nid et de découvrir la sexualité. Mais j'ai
peur. Oui, j'ai envie de changer et de suivre une thérapie. Mais j'ai
peur. Ou j'ai honte. Je pense que c'est très humain et très universel.
On a tous envie de changer, pour le meilleur de préférence, et en même
temps on s'accroche à ses névroses, à ses automatismes.
Comment est née l'idée de Oui, mais... ?
Depuis longtemps, depuis bien avant de commencer une thérapie, je m'intéresse
à tout ce qui concerne la psychologie humaine. Je trouve que la plus
belle aventure qui soit, c'est d'apprendre à devenir soi-même. Cela
me paraît bien plus difficile que d'aller en mission sur Mars ou de
subtiliser un trésor à des nazis. Mon intérêt pour la psy m'a amené
à découvrir l'Analyse Transactionnelle, qui est à la fois une théorie
de la personnalité fort pertinente et une forme de psychothérapie. Quand
on lit un bouquin
d'A.T., on lit des scènes de ménage ou de comédie. C'est à la fois
très juste et très ludique. Je me suis dit que le cinéma pouvait illustrer
l'A.T. à merveille. Ensuite, très rapidement, sont venues se greffer
des préoccupations plus personnelles et surtout le besoin de raconter
une histoire, donc de choisir un protagoniste. De mettre du suspense,
de l'émotion, de l'humour. Le but étant de rendre l'ensemble distrayant
et accessible à tous.
Le scénario a-t-il été dur à écrire
?
Cela n'a pas été dur au sens de pénible. Pour moi, c'est un régal d'écrire,
de faire vivre des personnages, d'enchaîner des situations. En revanche,
cela a été dur au sens de difficile. Cela demande du temps, de la maturation,
beaucoup de réécriture (cf. l'aventure
du scénario). J'ai été aidé au démarrage par un atelier d'écriture
créé avec Didier Boujard au sein de Canal + Ecriture. Nous étions sept,
chacun développait son projet et nous nous réunissions chaque semaine
pour en débattre. Ensuite, j'ai fini seul. J'ai beaucoup fait lire le
scénario, à toutes sortes de gens, à des jeunes filles, à des psychothérapeutes.
Les réactions, plutôt bonnes, m'ont aidé à réécrire.
Votre film est avant tout le parcours
initiatique d'une jeune fille de 17 ans qui traverse une crise d'adolescence.
C'est en effet la ligne directrice du récit. La protagoniste est clairement
Eglantine. C'est elle qui a un objectif, c'est elle qui rencontre des
obstacles, c'est son histoire que raconte le film. Cela dit, je pense
qu'elle vit un peu plus qu'une crise d'adolescence, simple et normale.
Ce n'est jamais facile de sortir de l'enfance pour entrer dans la vie
adulte, mais quand, en plus, on a des parents maladroits... On va dire
que ses parents en rajoutent. En même temps, ce qu'elle vit n'est pas
atroce. C'est d'ailleurs fait exprès. Je n'ai pas voulu "traiter" un
cas trop lourd. Toujours la même idée : on n'a pas besoin d'être gravement
malade pour se faire aider.
Vous parlez de sujets aussi intimes
que le premier amour ou la sexualité des adolescents, vous parlez aussi
des humiliations qu'ils peuvent ressentir. Comment avez-vous retranscrit
le monde de ces jeunes gens qui ne sont pas encore des adultes, mais
veulent vivre comme eux ?
Je dois avoir de bons souvenirs de ma propre adolescence parce que je
n'ai pas fait d'enquête. J'ai fait lire mon scénario terminé à des femmes
et des adolescentes pour m'assurer que les références spécifiquement
féminines étaient justes. Je crois beaucoup à cette idée que chaque
être humain a en lui une part masculine et une part féminine. Je crois
même qu'une des clefs de l'épanouissement est de développer ces deux
sensibilités. J'ai dû mettre de la femme qui est en moi dans la caractérisation
d'Eglantine. Cela dit, honnêtement, c'est le b-a-ba du métier de scénariste.
Si les dramaturges
ne pouvaient créer que des alter ego, ils n'iraient pas bien loin.
La psychothérapie est un thème qui a
souvent été traité au cinéma mais sans doute rarement de façon aussi
réaliste. Comment rendre cinématographique un sujet aussi intime et
mystérieux ?
Le défi était de rendre compte d'une thérapie en l'espace de
40 minutes. C'est à peu près le temps qu'Eglantine passe avec Moenner
sur les 104 minutes que dure le film. J'ai donc dû tricher, condenser
des séances de trois-quarts d'heure en quelques minutes, n'en montrer
que des bouts. Mais pour le reste, c'est assez simple. Une psychothérapie
est toujours une formidable aventure humaine, avec un début, un milieu,
une fin. Avec des conflits, des gags, des rebondissements. Comme le
dit Moenner, c'est du Shakespeare. Bref, c'est en soi un scénario. A
moi, ensuite, de le structurer un peu pour le rendre distrayant. Là,
c'est le scénariste qui vient de répondre. Mais le réalisateur a eu
un autre défi à affronter : filmer 40 minutes de face-à-face dans le
même décor. Avec Pascal Caubère, le chef-opérateur, je me suis amusé
à découper chaque scène en plusieurs parties et à sauter l'axe d'une
partie à l'autre.
Le film suit à la fois le point de vue
d'Eglantine et celui du thérapeute. C'était important pour vous qu'il
y ait deux regards sur cette histoire ?
C'est venu tout seul en cours d'écriture. J'avais besoin du regard du
psy, surtout au début, pour nous expliquer les jeux psychologiques de
façon ludique. Et puis j'avais besoin d'un protagoniste qui emporte
le récit. Or ce protagoniste ne pouvait pas être Moenner. Quand vous
allez voir un psy, vous êtes seul à vous déshabiller. "L'autre", en
face, ne se dévoile pas et donne même souvent l'impression d'avoir toujours
raison. Cela peut être très agaçant, mais c'est comme ça que ça marche.
Et je ne voulais surtout pas que le psy de mon film ait un parcours,
comme on le voit dans Will Hunting, En analyse ou
d'autres uvres sur le sujet. C'est une manie américaine de faire
évoluer tous les personnages mais cela ne se passe pas comme ça dans
la réalité. Je voulais que le spectateur du film s'identifie à Eglantine
et soit dans la position exacte de quelqu'un qui va voir un psy. La
difficulté ensuite, a été de mélanger les deux points de vue.
Pourquoi ces vignettes qui illustrent
les propos du psy ?
Parce que je voulais éviter la conférence pure et dure et que les outils
du cinéma le permettent. En outre, le décalage entre l'image et le commentaire
peut apporter un peu d'humour.
Certains partis pris de mise en scène
sont radicaux, comme le fait que Moenner s'adresse au spectateur.
C'était déjà dans le scénario. L'origine de ce face caméra est très
simple. Dans tous les films du monde, vous trouvez des jeux psychologiques.
Une dispute, une scène de comédie sont des illustrations de jeux. Mais
si personne n'est là pour les identifier comme tels, vous ne vous en
rendez pas compte. J'avais donc besoin d'un commentateur, un peu à la
façon de Jean Laborit dans Mon oncle d'Amérique,
pour nous aider à prendre du recul et à comprendre. En même temps, j'avais
bien conscience que ce recul risquait d'empêcher l'identification. Je
n'ai donc utilisé le face caméra qu'au début du film. Une fois l'action
lancée, c'est-à-dire au bout de 20, 25 minutes, Moenner ne s'adresse
plus du tout à nous et n'a plus d'avance sur Eglantine.
Vous n'avez jamais caché que vous aviez
vous-même suivi une thérapie. Est-ce de là qu'est partie votre envie
d'aborder ce thème ? Comment rester objectif par rapport à ce que vous
avez vécu ?
Il est clair que je n'aurais jamais pu écrire cette histoire si je n'avais
pas suivi une thérapie moi-même et si je n'avais pas fait des stages
de formation pour devenir thérapeute. Je n'en aurais probablement pas
eu l'envie non plus. Quant à l'objectivité, je crois bien que je m'en
fiche. D'abord, c'est impossible d'être objectif. Et puis, je ne suis
même pas sûr que ce soit souhaitable au cinéma. En tant que spectateur,
j'aime bien qu'un film véhicule un point de vue, même si ce n'est pas
le mien. Ce qui est sûr, c'est que la thérapie m'a permis d'être mieux
avec moi-même et avec mon entourage, lequel peut en témoigner copieusement.
Cela m'a paru être une base suffisante pour écrire Oui, mais...
Avec Oui, mais..., vous divisez
très clairement le monde entre victime et persécuteur.
J'espère que c'est un peu plus complexe que ça. La mère d'Eglantine,
par exemple, est à la fois victime (d'elle-même et de son mari) et persécutrice
(d'Eglantine). Eglantine est essentiellement victime, ce qui est relativement
normal pour un protagoniste qui vit sa dose de conflit, mais elle est
aussi sauveteuse. D'elle-même, bien sûr, mais aussi de Sébastien.
Vous semblez dire qu'on peut aider les
gens mais pas les sauver. Pourtant Moenner va "sauver" Eglantine.
Oh si ! on peut très bien sauver les gens. Ce que je dis, c'est
que ce n'est pas souhaitable. Car cela met lesdits gens dans un état
de dépendance. C'est la différence bien connue entre donner du poisson
à un affamé et lui apprendre à pêcher. Aider quelqu'un, c'est avant
tout respecter son processus d'autonomisation. C'est faire moins de
la moitié du travail. Moenner a, de toute évidence, un côté "sauveteur",
comme tous les psys, mais il s'efforce de ne pas en faire trop, d'aider
Eglantine à trouver le sauveteur qui est en elle. Cela étant, je reconnais
qu'il est très interventionniste. Mais il n'agirait pas nécessairement
de la même façon avec quelqu'un d'autre. Il s'adapte à
la personnalité de sa patiente. Il parle le langage du patient,
comme dirait Paul Watzlawick. Et puis c'est le principe des thérapies
stratégiques au cours desquelles les psys donnent des consignes (souvent
paradoxales) à leurs patients.
Justement ne craignez vous pas la réaction
des psychanalystes orthodoxes ?
Non. J'ai fait lire le scénario à des psys de toute obédience, j'ai
été étonné de constater que les psychiatres et les psychanalystes appréciaient.
L'un d'eux m'a donné l'explication : quelle que soit la technique, ce
qui compte dans la thérapie c'est la relation d'être à être, la relation
d'écoute. Et je crois que le film en témoigne assez bien.
Dans le film, que ce soit les parents
d'Eglantine, ses amis ou son petit copain, personne ne comprend ce choix
qu'elle fait d'être suivie par un thérapeute. Pourquoi le regard des
gens est-il si méfiant à l'égard de ce genre de traitement ?
La raison est double. Dramaturgiquement d'abord, il faut mettre des
obstacles sur la route du protagoniste. Dans la logique du scénario,
l'entourage se devra donc d'être plus hostile que compréhensif. Et puis,
c'est assez réaliste. La thérapie fait peur, il suffit de voir l'image
des psys au cinéma, souvent des guignols ou des psychopathes. Elle fait
peur parce qu'on fantasme sur son pouvoir et parce qu'on n'a pas envie
de se sentir concerné. C'est comme pour les accidents de voiture. Malgré
la présence grandissante de la psy dans les médias, c'est surtout bon
pour les autres. On revient au "mais" de Oui, mais... :
changer ses automatismes, partir dans l'inconnu, réveiller de vieilles
blessures, tout cela fait peur. Et que fait-on quand on a peur ? On
juge, on condamne.
L'un des personnages clés du film est
celui de la mère. Elle est à la fois terrifiante et émouvante. Presque
caricaturale à force de souffrir.
Je tenais à cette dimension légèrement caricaturale parce que je ne
voulais pas tomber dans le mélo. Je voulais qu'elle soit inquiétante,
émouvante mais aussi drôle de temps en temps. Alix de Konopka a beaucoup
apporté au rôle.
La mettez-vous dans le camp des persécuteurs
ou dans celui des victimes ?
Les deux mais plus victime que persécutrice. C'est surtout une boule
de souffrance et de maladresse. Ce n'est pas facile de vivre avec une
malédiction comme la sienne dans la tête (pour mémoire, "les hommes
maltraitent les femmes").
Après Rosetta et Le pacte
des loups, on découvre un nouveau visage d'Emilie Dequenne. On a
l'impression que c'est à travers ce personnage d'Eglantine qu'elle livre
le plus d'elle-même.
Il faudrait lui demander. Ce que je peux dire, c'est qu'elle m'a bluffé.
C'est une comédienne née. Elle a une facilité à jouer la comédie, à
s'animer quand la caméra s'allume, qui est assez impressionnante. Et
comme Eglantine est un rôle chargé en couleurs - elle passe de la peur
au fou rire, de la colère à la culpabilité - je crois qu'Emilie s'est
régalée sur le tournage. En tout cas, je lui sais gré de ce qu'elle
m'a donné.
En quoi vous a-t-elle surpris ?
Elle m'a plus impressionné que surpris. J'ai apprécié son intelligence
du rôle. Jamais, nous n'avons discuté sur l'interprétation. Elle pigeait
tout. Bien sûr, ça ne s'est pas fait tout seul. Il a fallu travailler.
Et puis j'ai été très exigeant. Je lui ai demandé 120 %. Au final, je
la trouve sublime.
Gérard Jugnot dit avec humour qu'il n'a pas
l'habitude qu'on lui offre des rôles d'hommes plus intelligents que
lui. Avez-vous tout de suite pensé à lui pour le rôle d'Erwann Moenner
?
Quand j'ai commencé à y réfléchir, il m'est vite apparu qu'il était
le comédien idéal pour ce rôle.
Qu'a-t-il amené à son personnage ?
Sa rondeur, sa générosité, son œil qui pétille, sa chaleur humaine,
son physique ordinaire. Et puis surtout ses immenses qualités de comédien.
On ne s'en rend pas compte mais le rôle de Moenner est très délicat
à jouer. Pour la raison qu'il ne vit pas de conflit. Donc l'interprète
ne peut pas se reposer sur une émotion pour jouer. C'est comme quand
vous faites de la planche à voile sans vent. Vous n'avez rien pour vous
tenir et le flotteur est tout de suite beaucoup plus instable. Ce que
fait Gérard dans le film n'est peut-être pas spectaculaire mais c'est
très fort. C'est un numéro d'équilibriste. Et je lui en sais d'autant
plus gré de m'avoir offert ce Moenner.
Pour jouer l'amoureux d'Eglantine, vous avez
choisi Cyrille Thouvenin, que l'on avait découvert dans La confusion
des genres.
Le film n'était pas sorti à l'époque du casting. Pour Cyrille, comme
pour Alix de Konopka, Vanessa Jarry ou Patrick Bonnel, je me suis fait
aidé d'un directeur de casting, en l'occurrence Stéphane Gaillard. Cyrille
mérite entièrement sa nomination aux Césars. C'est un excellent comédien.
La fin de Oui, mais... est optimiste.
C'était important pour vous de raconter une histoire qui se termine
bien ?
Pas spécialement. Je pense que la fin d'une histoire doit découler logiquement
de ce qui précède. Cela dit, j'y crois, je suis d'un naturel optimiste
et un peu de positivisme ne peut pas faire de mal. Et puis surtout je
peux témoigner de l'efficacité des techniques utilisées
par Moenner. Je ne dis pas que cela règle tout. Mais je peux
vous dire que cela aide à sortir de la fosse à purin,
de la souffrance immédiate. Ensuite, ce peut être une bonne
idée de continuer, de faire par exemple trente ans de thérapie
brève, comme le suggère malicieusement Moenner à
un moment.
En pré-générique, vous citez une légende hindoue.
Comment la connaissez-vous ?
Je l'ai découverte au cours d'une de mes lectures. Je ne sais plus où.
Je la trouve très belle. Elle rejoint mon idée que la plus belle aventure
humaine, et probablement la plus difficile, c'est d'être soi-même. Et
non d'aller sur la Lune. Certes, rien n'empêche de faire les deux. Mais
j'ai souvent l'impression que courir, partir loin, entreprendre de grandes
choses sont des moyens de fuir l'essentiel.
Qu'est-ce que le scénariste réputé que
vous êtes a découvert en réalisant son premier long
métrage ?
Des milliards de choses dont je ne pourrai jamais rendre compte
en quelques lignes. En deux mots tout de même, j'ai eu confirmation
d'une chose que j'avais découverte en faisant mes courts métrages,
à savoir que le réalisateur, avec l'aide des comédiens
et du monteur, pouvait changer considérablement un scénario,
pour le pire comme pour le meilleur. Et comme je continue à penser
que le plus important dans un film qui s'efforce de raconter une histoire
est le scénario, cela m'a conforté dans l'idée
que les scénaristes devraient être plus respectés
et plus impliqués dans la fabrication des films.
Qu'avez-vous envie que
les gens disent de votre film ?
Ce qu'ils voudront, du moment qu'ils sont authentiques et qu'ils n'ont
pas vu le film en m'attendant au tournant (en bien comme en mal). Bien
sûr, je préfère entendre que c'est un film généreux et distrayant plutôt
que le contraire. Je ne fais pas de films pour emm... le monde. Mais
la critique peut être instructive si elle est constructive. En tout
cas, je conçois vraiment le cinéma comme un échange. C'est un moyen
d'expression personnel, certes - et je crois que ce film me ressemble
profondément -, mais c'est aussi un dialogue. Je suis donc très ouvert
aux retours, autant de la part des professionnels que du grand public.
N.B. Les spectateurs du film peuvent envoyer un courriel à
Yves Lavandier.
Cf. d'autres propos d'Yves Lavandier sur Oui, mais... ici.
Yves Lavandier face à Gérard
Jugnot dans Oui, mais...
(photo Pascal Caubère)