DISCUSSION AVEC PHILIPPE ROMBI


 compositeur de Oui, mais...




Philippe Rombi en studio (photo © Franck Gabriel)



Quelle est votre formation musicale ?
Classique. J'ai fait mes études musicales au Conservatoire National de Région de Marseille. J'ai étudié le piano, l'harmonie, le contrepoint, la direction d'orchestre, la musique de chambre. Avec Léa Roussel, Pol Mule et Pierre Barbizet comme professeurs.

Quelle a été votre toute première musique de film ?
Après mes études à Marseille, je suis allé à Paris, à l'Ecole Normale Supérieure de Musique, pour me spécialiser dans la composition. J'ai passé deux ans dans la classe d'Antoine Duhamel. A l'époque – c'était en 1990 – on s'est aperçu qu'il n'y avait pas de cours de musique à la FEMIS. On s'est dit que ce serait bien pour eux comme pour nous qu'il y ait un lien entre nos activités respectives. Jusqu'alors, pour travailler, on se contentait d'illustrer des images du patrimoine ou de vieux documentaires. L'échange ainsi proposé par Duhamel a permis à de jeunes réalisateurs d'entendre mes épreuves de concours de fin d'année. Mon Premier Prix de Composition, par exemple, a été enregistré à la FEMIS. Et ma première musique de film a été écrite pour un élève de l'école, Jean-Yves Philippe, sur un court intitulé La virée.

C'est à la FEMIS que vous avez croisé François Kraus, l'un des deux producteurs de Oui, mais... ?
Oui. Il est tombé un jour par hasard sur la musique que j'avais composée pour Chocolat amer, court métrage d'Isabelle Broué et il est tombé amoureux du morceau. J'ai travaillé ensuite sur deux courts produits par François, Presse-citron, un autre court d'Isabelle, et Ombres magiques de Patrice Spadoni.

Le fait que vous ayiez suivi la classe d'Antoine Duhamel prouve que vous aviez envie de faire de la musique de film.
Ah oui complètement. C'était un vieux rêve de gosse. D'abord, je voulais être pianiste classique. J'étais amoureux de Chopin, de musique romantique. Et puis un jour j'ai découvert l'orchestre et je me suis aperçu que c'était ça qui me plaisait. Prokofiev, Ravel, Rachmaninov. Et puis aussi la musique de film. Mon grand frère – douze ans de plus que moi – écoutait beaucoup de disques. Je lui piquais des BO mais j'étais trop jeune pour réaliser que c'était de la musique de film. J'écoutais, ça me plaisait. C'était du Williams, du Goldsmith, des orchestrations riches, des thèmes magnifiques qui me touchaient. J'ai commencé à composer dès l'âge de six ans. Enfin, composer... J'avais besoin de mettre sur le piano tout ce qui m'habitait. Ma famille m'a suggéré d'écrire ce que j'improvisais au piano. Mes professeurs du Conservatoire m'ont poussé à jouer ce que j'écrivais. Et, une fois de plus, ce sont mes auditeurs qui m'ont ouvert les yeux. Ils me disaient « quand tu joues, ça me fait penser à ça, ça m'évoque ceci, telle émotion, mon mari, mes enfants, un paysage, etc ». Je me suis dit que j'étais peut-être fait pour ça.

Quels sont vos compositeurs préférés ?
C'est dur comme question. Ça veut dire qu'il faut choisir. Je dirais ceux dont je sens une spontanéité dans la création. Même si après il y a une grande réflexion dans l'orchestration. Au départ, ce sont les compositeurs qui me donnent la chair de poule. Cela peut être un concerto de Chopin, la Symphonie Alpestre de Richard Strauss, Prokofiev, L'oiseau de feu, Ravel, Daphnis et Chloé. Peut-être que ça rejoint la musique de film parce que ce sont des musiques qui évoquent beaucoup de choses. John Williams m'a beaucoup touché dans sa force évocatrice, dans ses thèmes aussi qui sont rarement quelconques. Ses orchestrations sont riches, maîtrisées, inventives. Michel Legrand m'a beaucoup influencé quand j'étais étudiant. Je m'amusais tout le temps à jouer ses thèmes au piano. Ce qui affolait mes professeurs classiques.

Comment qualifieriez-vous votre style ? A propos de la valse de Oui, mais..., certains ont évoqué un pont entre l'école française et l'école hollywoodienne.
Ça me plaît bien. Je suis complètement opposé à l'idée de dire « c'est une musique américaine, c'est une musique française, je ne veux pas que tu fasses quelque chose d'américain ». Ça m'horripile. Sous prétexte que les Américains utilisent un certain style de musique, une certaine couleur orchestrale, ça voudrait dire qu'il n'y a qu'eux qui peuvent le faire. C'est stupide parce que leurs orchestrations viennent de Ravel, Prokofiev, Debussy. J'essaie de faire une musique qui vient du coeur et qui est influencé de tout ça, de Williams, Goldsmith, Legrand, Morricone... plus le classique. Pour moi, il n'y a pas de nationalité dans la musique. Je n'ai pas d'a priori. Je n'ai aucune honte à faire à un moment donné un grand love theme romantique en me disant « aïe, ça va faire américain ».

C'est peut-être pour ça que vous êtes nominable aux Oscars pour la musique de Swimming pool.
Oui, c'est génial. Je ne pense pas finir dans les cinq derniers. Mais c'est déjà formidable d'être considéré pour la musique d'un film produit en France.

Savez-vous ce qui amené Yves Lavandier à vous proposer de composer la BO de son film (cf. le commentaire d'Yves Lavandier) ? Le connaissiez-vous avant ?
Non, je ne le connaissais pas, même pas son livre, et je crois qu'il ne me connaissait pas non plus. C'est François Kraus qui nous a réunis. Yves a hésité à me confier la musique de son film parce qu'il avait un autre compositeur en tête, avec lequel il avait déjà fait un court métrage. Je lui ai fait écouter ma bande démo sur laquelle il y avait des musiques de film réelles comme Les amants criminels mais aussi des musiques de film imaginaires comme une suite symphonique inspirée des aventures de Tintin. Ça lui a plu.

Comment s'est déroulé votre collaboration ? Humainement ? Artistiquement ?
D'abord on a fait connaissance, ne serait-ce que physiquement. Ensuite, a commencé une sorte d'apprentissage, d'apprivoisement, par des coups de fil dominicaux, de longues conversations où l'on parlait de plein de choses, pas seulement de musique. Pour que la collaboration marche, je crois qu'Yves a besoin de connaître les gens eux-mêmes autant que ce qu'ils font. Et comme j'aime beaucoup ça aussi, les conversations duraient longtemps. Un jour, on s'est vus à la production pour parler de ce qu'Yves souhaitait pour son film. Il m'a alors proposé un défi, celui d'écrire toutes les musiques du film, y compris les musiques de source, celles qu'on entend au restaurant, au cinéma, dans la fête. Comme il adore la musique, qu'il aime bien l'utiliser à bon escient, il avait envie que toutes les musiques aient un sens. Et surtout que la même personne fasse tout. Il voulait une unité artistique. C'est vraiment pas courant. Jusqu'à aujourd'hui, aucun autre réalisateur ne m'a demandé ça. Pour tout ce qui n'est pas musique originale, les réalisateurs prennent ça au mètre. Ils ont besoin d'une musique de slow, ils vont la chercher dans une banque. Ou ils prennent une chanson connue. Quand on ne fait que la musique originale, on peut avoir un style et faire tout le film avec une seule couleur, ce qui est parfois souhaitable d'ailleurs. Sur Oui, mais... c'était plus difficile parce que ça impliquait des styles complètement différents. Pas évident de sortir d'un morceau africain et d'entrer dans une scène d'émotion entre Emilie Dequenne et Gérard Jugnot.

Vous auriez pu refuser le défi. Est-ce qu'au moins, ça a été amusant à faire ?
Ah oui évidemment ! J'ai accepté de tenter le coup parce que je m'étais déjà amusé à ça dans le court métrage ou quand j'ai composé des chansons de variété, fait des arrangements. J'y avais déjà un peu goûté dans mon petit labo personnel. Après, comme on n'a pas eu assez de temps, c'est devenu lourd parce que ça ne pouvait plus être des expériences où on se permet de jeter, de refaire. Il faut aller vite et ça doit être parfait parce que c'est quand même immortalisé dans un film et sur un CD. Ce ne sont pas des notes qu'on met dans un tiroir.

Yves Lavandier vous a fait tout de suite confiance ?
Non. Il y a eu un cap à passer. Yves ne savait pas comment je considérais la musique de film. Est-ce que c'était pour me faire plaisir, pour l'argent, pour me faire valoir, par passion ? Est-ce que j'allais servir son film ou au contraire me servir de son film ? Il y a eu un ou deux moments charnières à partir desquels il m'a fait confiance au point même de me défendre becs et ongles sur certains morceaux. Et la complicité s'est installée.

Vous vous souvenez de ces moments charnières ?
Le jour où je suis allé chez lui et où j'ai joué plusieurs thèmes sur son piano. Rien ne l'emballait et puis soudain deux thèmes l'ont ému aux larmes. On tenait la musique de Oui, mais...

De quels thèmes s'agissait-il ?
La valse et le thème d'Eglantine, que nous avons appelé « noire pointée-croche » en référence à un morceau qu'Yves adore : le deuxième mouvement du Deuxième Concerto pour violoncelle de Dvorak.

Yves Lavandier s'est-il montré très directif ou vous a-t-il laissé faire ce que vous sentiez ?
Un peu des deux. Très directif au début mais dans tellement de directions, parce qu'il aime tellement de choses qu'il donnait l'impression de vouloir faire dix musiques de film dans une. Il a soif de ça, il aime cette collaboration sur la musique. Un film ne lui suffisait pas. On partait sur plein de styles. J'avais l'impression que de toute façon il n'y aurait jamais quelque chose qui le satisferait pleinement. Et pourquoi pas ça aussi, et pourquoi pas ça encore... Sur le slow, nous sommes passés par un tas de couleurs pour finalement adapter le love theme du film. Et comme je ne voulais pas arriver avec des maquettes pourries, je passais du temps à arranger et orchestrer les morceaux tests. Je pense qu'Yves avait besoin de l'expérience. C'était sa première collaboration sur un long métrage, avec beaucoup de musiques. Moi-même, j'avais moins d'expérience à l'époque. On avait chacun des choses à apprendre. J'en ai peut-être trop fait par moment et Yves m'en a parfois trop demandé. Yves est quelqu'un qui connaît beaucoup la musique avec le cœur, qui peut en parler émotionnellement, ce qui est très bien pour moi, mais il manquait un peu d'expérience vis-à-vis de l'image. Et puis ce qui a consommé beaucoup d'énergie, ce sont les musiques de source.

Pourtant, il paraît que le troisième thème du film qui est loin d'être troisième en importance puisqu'on le retrouve dans le slow et dans la scène d'amour, il paraît que ce thème est né d'une musique de source.
C'est exact. Il vient de Peplum US. Je me suis un peu lâché sur ce morceau. Comme c'était censé être la musique d'un film imaginaire, il n'y avait pas de barrière, pas de préjugés, et en plus pas d'images à illustrer. A un moment, je veux être plus doux parce que les deux héros parlent de rendez-vous. Donc je fais comme souvent dans les films américains, ou les génériques de fin des films épiques, où on retrouve le thème romantique qui surgit après être passé par toute la fanfare. Ensuite j'ai eu l'idée de continuer la musique du cinéma dans la scène suivante, où Eglantine repense à son copain dans sa chambre. Temps et douceur. C'est ça qui a tout déclenché. Comme si elle écoutait la BO du film qu'elle est allée voir avec son copain. Il s'est avéré que le thème est très efficace, sensuel, sentimental, comme on le trouve dans ces films-là. Mais à l'époque, nous ne pensions pas encore le retrouver dans Your lips ou L'éveil.

Est-ce que vos collaborations avec les réalisateurs sont à peu près toujours du même type ou est-ce que cela varie énormément d'un réalisateur à l'autre ?
Cela varie beaucoup. La musique est l'élément que les réalisateurs maîtrisent le moins. Donc c'est souvent le vilain petit canard. Chaque réalisateur a son complexe vis-à-vis de la musique et chacun réagit à sa manière. Certains ne veulent pas le montrer, certains le montrent tellement qu'ils en deviennent muets en face du compositeur. D'autres vont jusqu'à faire appel à un consultant pour jouer les intermédiaires, comme s'il fallait un décodeur pour traduire les émotions du réalisateur avec des termes un peu plus musicaux. Ils vont même jusqu'à mettre des musiques témoins sur le montage, comme on le fait aux Etats-Unis, pour illustrer musicalement tout le film avec des musiques existantes. Ce qui peut être utile mais aussi parfois catastrophique car on s'habitue à ces musiques.

Cela donne des conversations à trois ?
Absolument. J'ai vécu ça. Le réalisateur à gauche, le consultant à droite et moi au milieu. Et si le réalisateur n'arrive pas à exprimer vraiment ce qu'il veut, hop le consultant prend le relai : « Ce que veut dire Machin, c'est que des cuivres seraient plus adaptés que des cordes à ce moment-là ».

Comment le vivez-vous ?
Pas très bien. Parce que j'aime autant la collaboration que la musique elle-même. J'aime bien chercher ce qu'il y a derrière les personnes. Leurs passions, leurs envies profondes. Il y a tellement de couches à enlever parfois. Les réalisateurs sont des artistes, comme moi, donc on est de la même famille mais souvent ils mettent un costume pour rencontrer le compositeur. Or je m'en fiche qu'ils ne puissent pas parler technique. Si un réalisateur me dit que ça doit être doux-amer ou ambigu ou sensuel, ça me parle plus que s'il me dit « je pense que des glissandos de violon avec un solo de basson... ». Ça, ça me gave. C'est mon métier de mettre ce qu'il faut pour traduire leur envie. Et puis les termes trop techniques peuvent nous induire en erreur. Peut-être aussi que certains réalisateurs ont peur de se faire avoir, que le compositeur tire la couverture, impose son style à tout prix. Ce qui arrive d'ailleurs. Certains se servent du cinéma pour faire écouter leur musique.

Quel a été le costume ou le complexe d'Yves Lavandier sur Oui, mais... ?
Je n'ai pas souvenir d'un complexe particulier. Yves est venu avec son juke-box ! Je ne sais pas si on peut appeler ça un costume. Plutôt que de s'expliquer, il m'avait fait une cassette avec plein de musiques, des choses qu'il aimait, très différentes, et débrouille-toi avec ça ! Ça allait de Léo Delibes à Lionel Ritchie en passant par les Beatles, Dvorak, Bourvil, Lou Bega, Armand Frydman ou Erik Marchand. Que des choses de qualité mais oh combien déroutant parce que mettre tous ces morceaux dans un seul film !... En même temps, évidemment, ça ne voulait pas dire qu'il fallait faire tout ça. Ça voulait plutôt dire « voilà tout ce que j'aime écouter, tout ce qui fait ma sensibilité musicale, tout ce que j'imagine pour ce film ». Mon but est quand même de composer ce qui marche pour le film et non la musique que le réalisateur écoute à la maison. C'est un cas de figure que je rencontre parfois avec les réalisateurs. Ils mélangent les deux. J'ai refusé un film pour cette raison.

Est-ce qu'il y avait néanmoins une couleur qui se dégageait des différents morceaux de cette cassette ? Des points communs ?
Oui. Les mots qui me sont venus étaient « sensualité » et « nostalgie ».

C'est un peu ce que vous avez composé pour Oui, mais...
C'est vrai. Il faut reconnaître que cette cassette m'a aidé à mieux connaître Yves. Elle a un peu remplacé le consultant dont nous parlions. En tout cas au départ.

Avez-vous commencé à travailler sur scénario, dans le cas de Oui, mais... ?
Non. Je suis plutôt venu sur le tournage pour recueillir des émotions, des impressions. C'était un vrai bonheur, d'ailleurs. J'ai beaucoup apprécié d'être le bienvenu sur le plateau.

Ce n'est pas toujours le cas ?
Quand on ne me le propose pas, je ne le demande pas. Je comprends que le réalisateur ne veuille pas trop de monde, pas trop se sentir regardé. Surtout sur un premier film. C'est comme la première fois qu'on dirige un orchestre, on n'a pas envie que toute sa famille vienne vous observer. On a envie de s'en sortir d'abord et si ça marche, on rameute les amis. Yves, au contraire, m'a invité sur le plateau. Il m'a présenté à tout le monde. C'est très agréable de sentir qu'on fait partie de l'équipe. Parce que, de par leur métier, les compositeurs sont quand même un peu à part. On arrive à la fin et on ne croise pas grand monde.

Est-ce qu'une visite sur le plateau ne permet pas aussi de voir quelle allure le film va prendre, le décor, l'ambiance, le jeu des comédiens ?
Ça dépend des films. Parfois, on peut déjà tisser quelque chose à la lecture du scénario. Ou en apprenant le casting. Parfois, on ne voit rien. On a besoin de voir comment c'est joué, mis en scène. Surtout dans le cas des comédies. Selon la façon dont c'est joué, premier ou second degré, avec ou sans ironie. Pour Oui, mais... c'est vrai que j'avais besoin de voir, surtout Jugnot qu'on connaît dans d'autres registres de comédie. Maintenant, il faut dire aussi qu'on ne m'appelle pas toujours avant le tournage. C'est même rare. On m'appelle souvent quand le film est fini !

Yves Lavandier et son monteur, Dominique Pétrot, vous ont montré le montage au fur et à mesure de son avancement. Il incluait de la musique provisoire. Est-ce que c'est gênant ?
Ça dépend. Ça peut être embêtant. Ça peut aider quand on a peu de temps. Aujourd'hui, quand on m'envoie une copie vidéo, je demande toujours une sortie avec la musique et une sans. C'est vrai que certains passages sont difficiles à voir et même à monter sans musique. Donc je respecte complètement que les monteurs en mettent. Mais je préfère voir une scène pour la première fois sans musique. Sinon, c'est difficile de la dissocier de sa musique provisoire.

Le morceau provisoire qui se trouvait sur la scène d'amour était une version piano du Clair de lune de Debussy. Difficile de se mesurer à ça, non ?
Oh oui ! D'autant que j'adore le morceau. Forcément, Debussy... On sait d'où je viens. C'est vrai que ça fait plus peur de remplacer Debussy qu'une musique de mauvaise qualité. Mais, en même temps, je n'ai jamais eu l'idée de faire mieux que Debussy. J'ai voulu faire quelque chose qui était fait pour le film. C'était ça ma force.

Il paraît que Clair de lune collait tellement bien à la scène que certains ont voulu le garder.
Oui, mais Yves m'a défendu bec et ongles. Il m'a fait confiance, il était persuadé que je pouvais faire une musique qui collerait encore mieux. Et puis c'était dommage de rompre avec cette idée de faire toute la musique du film. D'autant que c'est une scène-clé du film. Je suis toujours gêné, en tant que spectateur, quand j'entends une musique connue parce que ça me distrait du film. Je me mets à écouter le morceau. Il peut même me faire penser à un autre film s'il a déjà été utilisé ailleurs. Par exemple, l'Adagio de Barber qui est beaucoup utilisé, quand je l'ai entendu dans Platoon, j'ai pensé à Elephant man ! C'est un peu embêtant. Ou encore la Valse de Chostakovitch dans Eyes wide shut, qui rappelle à tout le monde une pub pour une compagnie d'assurance. Peut-être que chez Kubrick, cette pub ne passe pas mais chez nous, ça fait drôle.

Est-ce qu'il vous arrive, par votre musique, de donner des idées au réalisateur, de l'influencer sur ses choix ?
Oui, ça arrive. D'ailleurs, c'est arrivé sur Oui, mais.... Je suis venu un jour dans la salle de montage avec un petit morceau (Le chemin de la thérapie) qui devait ponctuer la fin d'une scène pour découvrir qu'Yves et Dominique l'avaient enlevée. Par respect ou culpabilité, je ne sais pas, Yves a quand même voulu essayer ce que j'avais composé. Il a trouvé ça tellement bien qu'il a remis le bout de scène.

De quoi êtes-vous particulièrement fier sur Oui, mais... ?
De la scène d'amour. Dans les conférences que je donne à droite et à gauche, je m'aperçois que cette scène émeut tout le monde. Moi aussi, à chaque fois. Je pense qu'avec la musique, on est arrivé à lui donner sa dimension émotionnelle, ce sentiment d'aboutissement. Du coup, elle est perçue comme une scène d'amour et non comme une scène de sexe. En ça, la musique est utile. On aurait pu faire une musique de scène d'amour genre téléfilm M6 avec saxo et compagnie. On aurait pu rendre cette scène vulgaire. Alors que la texture de ce morceau, le piano joué de manière classique et pas du tout pop ou variétés, donne à la scène une tenue qui explique que c'est un moment important. J'aime aussi la valse qui donne le ton au début du film. Je suis content qu'on n'ait pas mis une chanson. Des jeunes dans un lycée, on met une musique de jeunes et basta. C'est surfait, ça n'explique rien. Là, il y a une dimension psychologique de tous les personnages, une espèce d'aventure humaine comme on l'a appelée, qui résume tout ce qui va se passer, le mal-être d'Eglantine, ses parents. Et puis elle revient à la fin. Donc, il y a une vraie cohérence, une vraie construction. J'adore quand le réalisateur me laisse la place de construire quelque chose de logique, de penser un concept.

Certains morceaux composés spécialement pour le film n'ont pas été retenus au mixage final. Comment avez-vous réagi ?
La plupart n'étaient pas prévus depuis le début. On avait rajouté des ponctuations humoristiques. Soyons honnête, on ne peut pas dire qu'elles étaient indispensables. En plus c'était des morceaux pour lesquels on n'avait pas de budget d'enregistrement. On m'aurait enlevé d'autres morceaux, j'aurais sûrement été plus amer et déçu.

Il y a une exception, tout de même, c'est le Moment de vérité. La scène du chantage au balcon.
Oui, c'est vrai, je l'avais oublié. C'est un regret, oui. Je crois qu'il y a quelque chose qui cloche dans la scène, dans la musique aussi. Et on n'a pas réussi à faire ce qu'on voulait vraiment. A force de triturer le morceau pour le faire rentrer dans la chaussure, on a fini par se faire des ampoules. Je voulais jouer une carte qui n'a pas fonctionné. Je voulais qu'on ait peur que la mère tombe du balcon. Je me suis dit « puisqu'on ne le ressent pas assez dans la scène, je vais essayer avec la musique de donner quelque chose de plus, un peu de suspense ». Or Yves voulait exactement le contraire. Ce suspense-là ne l'intéressait pas. Mais on ne s'est pas compris sur le coup. Ça a été le moment le plus compliqué du film. Je me vois encore réécrire la veille de l'enregistrement, pendant la nuit, des mesures de ce morceau.

Ça vous a fait plaisir que ces morceaux non retenus apparaissent sur le CD ?

Oui, bien sûr. Un peu comme des bonus de DVD. Ce qui m'a surtout fait plaisir, c'est qu'Yves insiste pour qu'ils y soient. Ceux qui ont vu le film n'auront pas de mal à imaginer les scènes correspondant à Tragédie à la campagne ou Le panache de Moenner. C'est assez évocateur.

Qui est ce Phil Romby qui chante Oui, but... ?
[rires]... Oui, but... est une chanson qu'on entend à la radio pendant qu'Eglantine discute avec sa copine. Yves m'avait fait écouter un morceau de Ben Harper. J'ai compris qu'il voulait un truc jeune, dans la chambre, une voix, une guitare acoustique. J'ai donc essayé de faire quelque chose dans cette couleur. J'ai pris une fausse guitare sur mon clavier pour composer. Puis mon micro et j'ai improvisé un yaourt. Cette mélodie-là est sortie très rapidement. Je l'ai enregistrée et, contre toute attente, ça a plu à Yves et à tout le monde. Mais je ne me suis jamais imaginé chanteur. C'était juste pour faire une maquette. Sachant en plus qu'on ne l'entendrait qu'en fond, derrière la discussion. Et puis un jour, je me suis retrouvé avec un fax des paroles écrites par Yves. On n'avait pas les moyens, ni le temps. Donc, je l'ai enregistrée « at home ». Compositeur, chanteur, ingénieur du son et mixeur ! Et je me retrouve sur le CD malgré mon accent épouvantable. Yves m'a beaucoup charrié avec le « I hop » au lieu de « I hope ». Je m'en souviendrai longtemps. Mais bon, cette chanson joue sur l'humour, elle est en franglais. C'est pour ça que mon accent ne me gêne pas.

Au générique de fin, il est question d'une Suite symphonique, d'une Ouverture pour orchestre et d'un Mouvement concertant pour flûtes et orchestre. De quoi s'agit-il ? A quel endroit du film ces morceaux sont-ils utilisés ?
Aucun ! Yves souhaitait que le père d'Eglantine écoute de la musique classique en voiture. Toujours dans l'esprit de ne pas aller chercher du Bach ou du Vivaldi dans une banque, je lui ai proposé des morceaux que j'avais déjà composés un peu "à la manière de". Quand le générique a été mis en fabrication, il en était encore question. Finalement, ils ont disparu au dernier moment, au moment du mixage définitif. Mais pour le générique de fin, c'était trop tard.

Pourquoi n'avez-vous pas composé le morceau de techno Everyday of my life ?
Je n'ai pas dû trouver le bon ton pour ce morceau. J'avoue que ce n'est pas ma culture. Ce n'est pas le genre de sons que j'ai l'habitude de travailler chez moi. On ne peut pas être spécialiste dans tout. Les producteurs ont trouvé mieux et c'est très bien. Je ne crois pas qu'Yves ait des regrets à ce sujet. Sur le slow, au début, on ne voit pas la fête, donc on peut penser que c'est une musique originale qui commence. Il y avait une ambiguité. C'était important de garder l'unité. Mais sur la techno, on est plus tard dans la soirée. Donc, que ce soit moi qui l'ai faite ou quelqu'un d'autre importe peu.

Vous avez l'habitude d'orchestrer et de diriger vos compositions. Est-ce important pour vous de tout faire ?
C'est important et c'est un plaisir. Un peu comme un scénariste qui a envie de réaliser, j'aime bien diriger les musiciens parce qu'on peut créer jusqu'au dernier moment. Parfois un regard suffit pour changer le son. Les gens n'imaginent pas le rôle d'un chef d'orchestre s'ils n'assistent pas aux répétitions. Au concert, bien sûr, il n'a plus qu'à remuer les bras. En plus, quand on est derrière, on ne voit pas son visage. Donc on ne se doute pas. Mais un regard suffit pour dire à un soliste qu'il joue trop fort ou qu'il faut être plus émouvant. Et puis je ne me vois pas, en tant que compositeur, dans le dos d'un autre chef d'orchestre pour lui dire comment diriger. Autant prendre la baguette.

Dans quels films récents, avez-vous été bluffé par le mariage de l'image et de la musique ?
Dans Basic instinct. J'aime beaucoup ce qu'apporte la musique de Jerry Goldsmith au film. Ou dans Monsieur Schmidt où j'ai trouvé le traitement de la musique très intéressant. Les sons, l'arrangement. J'ai vu au générique que Rolfe Kent n'avait pas fait ça tout seul. Mais le rendu m'a plu. Pas trop triste, pas trop ironique. C'est fin et intelligent.

 

Propos recueillis par Kathryn Reitseroff en novembre 2003

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